L’évolution est souvent perçue comme un processus aveugle, dicté par la sélection naturelle et des mutations aléatoires. Une étude menée par des chercheurs [1] de l’ESPCI Paris - PSL et du Max Planck Institute remet en cause cette vision. Pendant trois ans, ils ont suivi l’évolution de lignées de bactéries, identifiant et analysant plus de 500 mutations. Leurs travaux montrent que la sélection naturelle ne favorise pas seulement les mutations avantageuses, elle peut aussi structurer les mécanismes génétiques eux-mêmes pour améliorer la capacité d’un organisme à évoluer.
Dans cette expérience, les bactéries devaient alterner entre deux états phénotypiques pour survivre. Les lignées incapables de muter efficacement disparaissaient, tandis que celles qui s’adaptaient rapidement prenaient leur place. Un phénomène inattendu est alors apparu : un locus hyper-mutable — une région spécifique du génome — a évolué pour faciliter ces transitions. Par la duplication d’une courte séquence d’ADN, ce locus a vu son taux de mutation multiplié par 10 000, un mécanisme analogue aux « loci de contingence » des bactéries pathogènes.
Ce résultat repose sur un principe clé : dans un environnement fluctuant, les lignées les plus aptes à produire des variations adaptées survivent et se propagent. Cette dynamique, répétée sur de nombreuses générations, façonne les relations entre génotype et phénotype. Les mutations bénéfiques passées deviennent plus accessibles, rendant l’évolution moins aléatoire qu’on ne le pensait.
Cette étude montre ainsi comment la sélection peut inscrire l’histoire évolutive dans l’architecture génétique, optimisant l’adaptabilité des lignées. Au-delà du cas bactérien, ces travaux éclairent la manière dont certains pathogènes parviennent à contourner les défenses immunitaires et soulignent un mécanisme fondamental de l’évolution : celui par lequel elle apprend, au fil du temps, à affiner ses propres processus.
Figure 1. Sélection des lignées
(A) Protocole expérimental où une lignée alterne entre les phénotypes CEL+ (jaune) et CEL– (bleu) via mutation. Chaque cycle commence par un seul génotype CEL+, suivi de la sélection d'un mutant CEL–, puis d'un retour à CEL+. L’extinction survient si la transition échoue. (B) Schéma illustrant la compétition entre lignées dans une méta-population, où seules celles capables de muter entre CEL+ et CEL– survivent et se fixent.
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Références :
Michael Barnett et al.,Experimental evolution of evolvability. Science 387, eadr2756(2025). DOI:10.1126/science.adr2756
Perspective, Enabling evolvability to evolve, A multilevel population architecture enables bacteria to evolve increased adaptability
Contact :
Communication scientifique de l’ESPCI Paris - PSL : Paul Turpault -