Bercer la matière pour lui faire oublier son histoire

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27/02/2025

De nombreux matériaux que nous utilisons dans notre vie quotidienne - produits d’hygiène ou cosmétiques – ou dans les technologies modernes - impression additive ou extrusion des céramiques - sont des matériaux pâteux qui se comportent comme des solides au repos et comme des liquides lorsqu’ils sont sollicités mécaniquement. En se solidifiant depuis l’état liquide, ils se figent dans un état hors équilibre qui conserve la mémoire directionnelle des contraintes et des déformations subies pendant l’écoulement. Leurs propriétés dépendent non seulement des paramètres thermodynamiques comme la température et la pression mais aussi de leur histoire. Cette mémoire mécanique peut avoir des conséquences néfastes dans les procédés de mise en forme et pour la durabilité des matériaux.

Des chercheurs [1] de l’ESPCI Paris – PSL en collaboration avec des collègues de l’Université du Texas à Austin ont étudié l’origine physique de ces effets de mémoire en combinant des expériences et des simulations de dynamique moléculaire. Les matériaux sont des suspensions très concentrées de particules déformables, analogues à des émulsions, et des gels physiques. Ils ont démontré que les matériaux « enregistrent » leur mémoire mécanique par l’intermédiaire du réseau de contraintes internes qui sont piégées par les particules pendant l’écoulement et ne relaxent que très lentement.

Cette meilleure compréhension du stockage des contraintes a permis aux chercheurs d’explorer des méthodes pour effacer la mémoire et remettre la structure interne des matériaux à l’équilibre. Pour cela ils ont inventé un protocole qui consiste à « bercer » les matériaux en appliquant des oscillations périodiques, dont l’amplitude est proche du seuil d’écoulement. Ce protocole modifie la distribution statistique des contraintes internes locales, libère le matériau des tensions héritées du passé et le rend "amnésique".

Cette avancée va permettre des progrès dans le contrôle et l’optimisation des matériaux mous. En effaçant leur mémoire mécanique et en contrôlant leur vieillissement, il devient possible de caractériser leurs propriétés intrinsèques et d’améliorer leurs performances dans les applications. Des premiers essais montrent que la même méthode peut être étendue à d’autres classes de matériaux désordonnés, offrant ainsi un nouvel outil pour la maîtrise et la conception de matériaux complexes.



 
Référence
Paolo Edera, Minaspi Bantawa, Stefano Aime, Roger T. Bonnecaze, Michel Cloitre, Mechanical Tuning of Residual Stress, Memory, and Aging in Soft Glassy Materials, Physical Review X, 2025.
DOI : https://doi.org/10.1103/PhysRevX.15.011043

Contact
Communication scientifique de l’ESPCI Paris - PSL : Paul Turpault paul.turpault (arobase) espci.fr



Notes

[1Paolo Edera, Stefano Aime et Michel Cloitre du laboratoire Chimie Moléculaire, Macromoléculaire, et Matériaux (C3M) de l’ESPCI Paris – PSL / CNRS et leurs collègues Minaspi Bantawa et Roger T. Bonnecaze du département McKetta of Chemical Engineering et de l’Institut des Matériaux de l’Université du Texas.





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