Sous terre, les champignons organisent le transport du carbone à grande échelle

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20/03/2025

Réseau de filaments mycorhiziens

Les champignons mycorhiziens bâtissent des réseaux souterrains complexes pour échanger des nutriments avec les plantes et stocker du carbone dans les sols. Publiée dans Nature le 26 février 2025, une étude menée par 28 chercheurs du monde entier, dont des scientifiques du laboratoire Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes (PMMH) de l’ESPCI Paris - PSL, révèle comment ces réseaux fonctionnent comme des chaînes d’approvisionnement ingénieuses, à l’origine d’une des symbioses les plus répandues dans la nature et présente dans les racines de plus de 70% des plantes sur Terre.

Les champignons mycorhiziens dépendent du carbone fourni par la plante avec laquelle ils vivent en symbiose. En colonisant les racines d’une plante, ils obtiennent le carbone nécessaire à leur développement en échange de nutriments cruciaux pour la croissance de la plante. Ce partenariat implique la gestion de contraintes majeures : l’équilibre des coûts de construction du réseau mycorhizien à mesure qu’il grandit, tout en assurant un transport efficace des ressources sur de longues distances vers et depuis les racines.

À l’aide d’un robot d’imagerie conçu par les chercheurs, la croissance des réseaux mycorhiziens a été visualisée et quantifiée pour la première fois. Cet outil a permis de suivre simultanément plus de 500 000 nœuds fongiques – points où les filaments mycéliens se croisent et interagissent – et d’analyser environ 100 000 trajectoires de flux cytoplasmiques, révélant les mouvements internes de nutriments et de carbone au sein du réseau.



Contrairement à de nombreux organismes biologiques dont la croissance reste exponentielle tant que les ressources sont disponibles, les champignons mycorhiziens étudiés adoptent curieusement une stratégie différente : ils régulent leur propre croissance. Après le passage d’un front de propagation, le réseau mycorhizien que constitue la cellule sature à une densité qui ne dépend pas des ressources. Cette saturation revient pour le champignon à investir les ressources en carbone obtenues de la plante vers l’exploration de nouvelles zones. Ainsi, plutôt que de maximiser leur croissance, ces champignons optimisent leur étendue spatiale et ainsi, à long terme, leur capacité à échanger et à capter du carbone.

Par ailleurs, l’étude a permis la mesure de la vitesse de croissance du réseau mycorhizien qui s’avère constante au cours du temps. Cela témoigne de la nécessité pour le champignon d’assurer un transport efficace des ressources au sein du réseau. En mesurant les écoulements cytoplasmiques au sein des champignons mycorhiziens, les chercheurs ont montré la présence continue d’un transport bidirectionnel depuis et vers les racines, témoin des échanges symbiotiques entre plante et champignon mycorhizien. L’organisation des écoulements repose sur des principes comparables à ceux d’une chaîne logistique sophistiquée et redoutablement efficace, façonnée par des centaines de millions d’années de sélection naturelle.

Ces réseaux jouent un rôle crucial en tant que points d’entrée du carbone dans les sols mondiaux, absorbant environ 13 milliards de tonnes de CO₂ chaque année, soit l’équivalent d’un tiers des émissions mondiales liées à l’énergie. Malgré leur importance, la complexité et l’étendue de ces réseaux étaient jusqu’à présent mal comprises. Cette étude offre une vision détaillée de la manière dont les champignons mycorhiziens construisent et optimisent leurs réseaux pour assurer un échange efficace de nutriments, influençant ainsi le fonctionnement des écosystèmes et les cycles du carbone.

La découverte de ces mécanismes d’ingénierie souterraine apporte un nouvel éclairage sur la complexité et l’ingéniosité des interactions qui façonnent les écosystèmes. Comprendre comment ces réseaux fongiques s’organisent, évoluent et optimisent l’échange de ressources permet d’explorer plus en profondeur l’incroyable intelligence du vivant et le rôle fondamental des organismes invisibles dans la structuration du monde qui nous entoure. Ces recherches offrent aussi de nouvelles perspectives pour mieux appréhender la dynamique du carbone dans les sols, un enjeu clé face aux bouleversements environnementaux actuels. En révélant ces stratégies naturelles de transport et de stockage du carbone, elles ouvrent des pistes de réflexion sur la manière dont nous pourrions, à l’avenir, mieux prendre en compte ces réseaux souterrains dans la gestion des sols et des écosystèmes.


Collaboration : Le travail a été fait en collaboration avec de nombreuses institutions de recherche, notamment les équipes de Toby Kiers et Tom Shimizu (VU & AMOLF, Amsterdam, NL) et celle d’Howard Stone (Princeton University, NJ, USA).

Crédits photos et vidéos : Loreto Oyarte Galvez (AMOLF & VU, Amsterdam)


 
Références :
Oyarte Galvez, L., Bisot, C., Bourrianne, P. et al. A travelling-wave strategy for plant–fungal trade. Nature 639, 172–180 (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-08614-x

Article du NY Times : https://www.nytimes.com/2025/03/01/science/climate-mycorrhizal-fungus-networks.html

 
Contact :
Philippe Bourrianne (PMMH, ESPCI Paris) : philippe.bourrianne (arobase) espci.fr





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