Diplômé de l’ESPCI en 1984, Éric Carreel est l’auteur d’une cinquantaine de brevets. Co-créateur de la Livebox et co-fondateur de Withings en 2008, qu’il dirige toujours aujourd’hui, il est venu faire part à l’école de son expérience d’ingénieur-entrepreneur aux multiples rebondissements. En voici le résumé, sous forme de questions-réponses.
Pouvez-vous évoquer la rencontre déterminante que vous avez faite à l’ESPCI ?
Fils d’agriculteur picard, j’ai travaillé toutes mes vacances à la ferme, mais j’ai été poussé par mon père à faire des études et je l’en remercie. Passionné de physique, je suis entré à l’ESPCI, où j’ai eu la chance de rencontrer Jacques Lewiner, qui à l’époque était professeur et directeur scientifique de l’école. Il m’a fait découvrir, l’électromagnétisme et l’électronique. Il a été mon directeur de thèse, puis nous avons créé des entreprises ensemble, dont Inventel. Nous nous voyons encore régulièrement, il a toujours été un accompagnateur, un mentor et un ami absolument essentiel.
Comment se sont déroulés vos débuts d’entrepreneur ?
Quand j’étais maître de conférence à l’ESPCI, au Laboratoire d’Électricité générale, je faisais également de la recherche sur la propagation des ondes électromagnétiques. C’étaient les débuts de la transmission numérique. Avec Jacques Lewiner et un autre ingénieur de l’ESPCI, nous nous sommes lancés dans la conception d’un produit qui permettait d’estimer le coût des conversations téléphoniques. Il n’intéressait pas beaucoup les industriels, alors nous avons créé notre propre entreprise avec une certaine naïveté. Nous avons fabriqué 600 de ces produits en pensant qu’ils se vendraient tout seul. Mais ce n’était pas si simple : il n’y avait personne derrière la porte pour les acheter.
Autre exemple, notre première rencontre avec un commissaire au compte a été difficile : il nous a simplement conseillé de renoncer.
Mais vous avez persévéré, jusqu’à l’invention de la Livebox !
L’arrivée de la norme européenne ERMES nous a permis de nous relancer sur le marché du « pager », système de messagerie unilatérale. Nous étions en contrat notamment avec Cegetel (futur SFR). Nous sommes montés jusqu’à 60 salariés, mais soudain arrive le SMS qui rend le pager obsolète et nous oblige à nous adapter très vite. Nous réussissons en toute urgence à produire un téléphone qui est repéré par un fabriquant chinois et nous permet de développer une activité de design industriel. Et puis est arrivée l’innovation de l’ADSL, et nous avons créé la Livebox pour France Télécom, le plus grand succès de notre entreprise Inventel, qui a été rachetée par Thomson pour faire face à la demande et rassurer France Télécom (renommé Orange en 2013).
Depuis, vous avez créé Withings…
Avec Withings, entreprise spécialisée dans les objets connectés, nous avons créé le premier pèse-personne connecté, mais le potentiel de ce produit n’a pas tout de suite été compris. Notre chance est venue de Californie, avec des utilisateurs tels que Jack Dorsey, fondateur de Twitter, qui en a lui-même fait l’éloge. Le succès a été tel aux États-Unis, que des acheteurs ont même déclaré que cette balance leur avait sauvé la vie. D’autres nous ont suggéré de réaliser un tensiomètre connecté, dont la réalisation et le succès nous ont fait entrer dans un monde que nous n’avions pas du tout imaginé au départ, celui de la santé préventive. Aujourd’hui, nous sommes une entreprise française indépendante de 350 collaborateurs, dont les produits sont présents dans une cinquantaine de pays, avec des produits phares comme la montre Scanwatch et la balance Body Scan.
Quel conseil donneriez-vous aux élèves de l’ESPCI qui souhaitent devenir entrepreneurs ?
Je reprendrais les termes de Steve Jobs lors d’une remise des diplômes à Stanford : « Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition, l’un et autre savent ce que vous voulez devenir, le reste est secondaire, soyez insatiables, soyez fous ». Et d’une manière générale, je dirais à tous les jeunes ingénieures et ingénieurs qu’ils ont une très grande responsabilité, celle de se consacrer entièrement à leur métier et de croire en eux-mêmes. Sans oublier de prendre des moments pour contempler le monde. Il faut savoir s’émerveiller si on souhaite changer le monde.