Maxime Bès, Clotilde Richard - SIMM, ESPCI Paris - PSL, Sorbonne Université, CNRS
L’équipe du laboratoire Sciences et Ingénierie de la Matière Molle (SIMM) de l’ESPCI Paris – PSL, Sorbonne Université, CNRS, publie dans la revue Journal of Polymer Science. Les chercheurs ont mené une étude expérimentale sur les mécanismes d’endommagement des fibres Kevlar™ à l’échelle de la fibre unique (10µm). Leurs travaux nous éclairent sur les propriétés de ces fibres et montrent notamment qu’elles ont une résistance accrue lorsqu’elles sont torsadées. Il est surprenant de constater qu’après plus de 60 ans d’utilisation intensive, ces mécanismes fondamentaux n’avaient toujours pas été explorés.
Les fibres polyamides aromatiques, connues du grand public sous le nom commercial de fibres Kevlar®, repoussent les limites des polymères synthétiques en termes de rigidité et de résistance. Ainsi, ces fibres possèdent des modules élastiques plus élevés que l’aluminium ou le verre, tout en étant trois fois plus légères. Cette fibre aux propriétés uniques a été développée au siècle dernier, au début des années 60. On doit sa découverte à Stephanie Kwolek, fille d’émigrants polonais, qui a fait toute sa carrière en tant que chimiste au sein de la firme DuPont à Wilmington dans le Delaware.
Aujourd’hui ces fibres sont utilisées pour de nombreuses applications nécessitant aussi bien résistances mécanique et/ou thermique que légèreté. Nous pourrions notamment citer l’aéronautique, l’aérospatiale, les équipements de sécurité tels que les gilets pare-balles, le sport, ou bien encore, le renforcement pneumatique. C’est pour cette dernière application qu’une équipe de chercheurs des laboratoires SIMM (ESPCI Paris - PSL, Sorbonne Université, CNRS) et du Centre des Matériaux (Mines Paris - PSL, CNRS) travaille depuis de longues années en collaboration étroite avec des chercheurs de la société Michelin afin d’améliorer leur réponse mécanique. Ces fibres sont ensuite intégrées dans les pneus sous la forme de cordelettes - un assemblage textile très complexe de milliers de fibres -, dont l’architecture constitue un précieux savoir-faire industriel.
Dans un récent article paru dans la revue Journal of Polymer Science, ils nous éclairent sur les mécanismes d’endommagement des fibres de Kevlar™. Il est surprenant de constater qu’après plus de 60 ans d’utilisation intensive, ces mécanismes fondamentaux n’avaient toujours pas été explorés !
Les chercheurs ont mené une étude expérimentale à l’échelle de la fibre unique (diamètre de la fibre 10µm) dans le but d’établir un lien avec la microstructure. La plateforme de microscopie électronique de l’ESPCI a été un outil décisif dans leurs recherches. Contrairement à l’hypothèse communément acceptée de déformation très élastique - la déformation à la rupture de ces fibres est de l’ordre 3% –, une observation fine en microscopie à balayage sous chargement mécanique leur a permis de mettre en évidence un endommagement généralisé sur toute la surface de la fibre, et révèle le rôle clé des microfibrilles.
Ces observations permettent d’esquisser un nouveau scénario de rupture. Fait marquant, les chercheurs ont montré qu’une légère torsion de la fibre permet d’améliorer encore un peu plus la tenue mécanique de ces fibres. Une analyse statistique de la rupture a démontré l’impact bénéfique d’une légère torsion sur les événements de rupture : les ruptures précoces à faibles contraintes sont décalées vers des contraintes plus élevées. Ce résultat éclaire sur le rôle crucial de la coopérativité entre les microfibrilles sur la résistance à la rupture : la torsion appliquée à la fibre favorise la tortuosité et les contacts frictionnels entre les microfibrilles. Curieusement, le mécanisme observé à l’échelle de la fibre unitaire est analogue à celui que l’on exploite à l’échelle du cordage en assurant une reprise d’efforts. Un exemple supplémentaire où la matière molle s’illustre avec des transitions d’échelles !