Un mécanisme d’interaction entre réponses olfactives instinctive et apprise identifié dans le cerveau de la drosophile

 
30/09/2018

Les chercheurs le savent depuis longtemps, les comportements innés et ceux issus de l’apprentissage proviennent d’aires cérébrales distinctes. Celles-ci sont stimulées par une sensation, comme une image ou une odeur, mais la manière dont les réponses innée et apprise sont intégrées pour aboutir à une réponse comportementale appropriée n’était jusqu’alors pas établie. Dans un article publié dans la revue Neuron, des chercheurs du laboratoire Plasticité du cerveau (CNRS, ESPCI Paris) et de l’Université de Cambridge sont parvenus à identifier dans le cerveau de la drosophile des neurones impliqués à la fois dans la réponse innée aux odeurs attractives, et dans le rappel de la mémoire aversive acquise à la suite d’un conditionnement olfactif associatif. Les chercheurs ont également montré que le souvenir d’une expérience aversive s’exprime par une diminution de l’activation des circuits normalement dédiés à induire un comportement d’attraction. Autrement dit, les mouches fuient parce qu’elles sont moins attirées.

Image du cerveau de mouche avec le repérage des neurones Pd12a1 et Pd12b1

L’équipe de Thomas Preat, au Laboratoire Plasticité du Cerveau (LPC), a une longue expertise dans l’étude des mécanismes de la mémoire chez la Drosophile. En 2011, cette équipe a identifié pour la première fois un circuit neuronal (les neurones « MB-V2 ») de sortie du centre cérébral de la mémoire, c’est à dire un neurone qui lui permet de transmettre des informations vers d’autres zones du cerveau. L’équipe de Gregory Jefferis, du Medical Research Council basée à Cambridge, est spécialiste des circuits neuronaux de l’olfaction chez la drosophile. Ces deux équipes ont uni leur expertise pour étudier comment les informations issues du centre de la mémoire communiquent avec les circuits impliqués dans la réponse olfactive innée.
Les chercheurs de Cambridge ont mis au point une méthode computationnelle afin d’identifier, parmi les 100000 neurones du cerveau de drosophile, ceux susceptibles d’être connectés en aval des neurones MB-V2. Ils en identifient alors une trentaine qui vont ensuite être testés au LPC. Pierre-Yves Plaçais, responsable du projet au sein du LPC explique que « des tests ont été réalisés sur près de 30 000 mouches, conditionnées afin d’associer un stimulus olfactif à une sensation désagréable. En bloquant chacun des neurones d’intérêt au moment où la mouche doit se souvenir de cette expérience associative, on parvient à identifier ceux dont le blocage empêche la mémoire de s’exprimer ».Les chercheurs isolent ainsi deux catégories de neurones, baptisées PD2a1 et Pd2b1.
Ils s’appuient alors sur un formidable outil publié cette année par l’équipe de Davi Bockau Janelia Research Center (Howard Hughes Medical Institute, USA) : un enregistrement intégral d’un cerveau de drosophile réalisé en microscopie électronique, avec une résolution nanométrique (voir Figure). Cartographier chaque neurone individuel au sein de cet enregistrement est une tâche colossale. Dans le cadre de cette étude, les chercheurs de Cambridge parviennent à localiser et retracent les neurones PD2a1 et PD2b1. Ils observent qu’ils sont également en aval des neurones olfactifs activés par des odeurs attractives, en particulier de nourriture. Des expériences de comportement effectuées au LPC confirment que ces neurones sont impliqués dans l’attraction olfactive innée.

Cette photo illustre l’enregistrement d’un cerveau de drosophile en microscopie électronique. L’enregistrement complet comprend 7062 sections, et chaque section est constituée d’environ 800 images comme celle-ci. site original : https://catmaid-fafb.virtualflybrain.org


Au LPC, les chercheurs ont enregistré l’activité des neurones PD2a1 et PD2b1 par imagerie calcique in vivo, afin de caractériser l’encodage de la mémoire aversive. Après conditionnement, l’activité de ces neurones en réponse au stimulus olfactif est diminuée. Ainsi le circuit de la mémoire aversive agit comme une dérivation qui aboutit à diminuer l’activation d’un circuit normalement dédié à l’induction d’un comportement d’attraction. Toutefois, cette diminution ne parvient parfois pas à un compenser un stimulus olfactif trop intense, comme dans le cas du vinaigre. Ces résultats indiquent que l’architecture même des circuits neuronaux pourrait prédire la facilité avec laquelle les réponses innées sont modulables –ou non par l’expérience.

Forts de ces nouvelles découvertes, les chercheurs envisagent désormais de continuer l’exploitation des données de microscopie électronique, que ce soit pour poursuivre l’identification des réseaux de neurones impliqués dans la réponse au stimulus olfactif, mais aussi en explorant une autre voie : la création de la mémoire à long terme.

Publication associée :

Communication from Learned to Innate Olfactory Processing Centers Is Required for Memory Retrieval in Drosophila, Neuron, 2018

DOI : https://doi.org/10.1016/j.neuron.2018.08.037

Contact Chercheur : Pierre-Yves Plaçais, pierre-yves.placais@espci.fr

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